
Bonjour Fernand, j’ai pris connaissance le 19 février 2024 de la publication de votre livre “La face cachée de l’immigration” (Editions Baudelaire) coécrit avec Miss Konfidentielle, journaliste Police-Justice.
Ce sujet d’actualité m’intéresse particulièrement car j’ai travaillé près de 4 ans à la Délégation à l’information et à la communication (DICOM) du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer (Place Beauvau). Pour contextualiser cette expérience, j’ai réalisé mes missions entre 2014 et 2018 à l’unité veille médias & réseaux sociaux et à l’unité communication de crise en tant que contractuelle pour cinq ministres différents: Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, Bruno Leroux, Matthias Fekl et Gérard Collomb. Comme vous, j’ai connu plusieurs gouvernements, plusieurs remaniements et de nombreuses crises sur le territoire national et international.
Je vous laisse vous exprimer à votre tour sur votre parcours à la Direction Centrale de la Police Aux Frontières (DCPAF), sur le lancement de votre premier livre et nous finirons cet échange par vos affinités avec l’Espagne.
Bonjour Diane, je vais vous expliquer la raison de ce livre : 80% des Français considèrent qu’on ne peut pas parler d’immigration de façon dépassionnée.
L’ouvrage grand public s’inscrit dans une approche pédagogique, apolitique et équilibrée sur les sujets de l’immigration qui divisent tant notre pays et l’Europe.
Il répond aux idées reçues les plus répandues : les immigrés sont des fraudeurs et potentiellement des terroristes ; la frontière est une passoire et les contrôles à la frontière ne servent à rien ; l’Europe est inefficace pour traiter l’immigration clandestine ; l’éloignement des étrangers n’est pas effectif ; la police n’est pas efficace contre les réseaux de passeurs et la justice est laxiste…
Les seuls discours portés sur l’immigration sont politiques ou militants. C’est rarement un discours apolitique. Et c’est la première fois qu’un ancien policier de la Police Aux Frontières (PAF et DCPAF) s’exprime, sachant qu’un policier actif a un devoir de réserve.
Un mot sur mon parcours professionnel qui m’a confronté à tous ces sujets : j’ai quitté mes fonctions de Directeur Central à la Police Aux Frontières (DCPAF) à la fin de l’année 2022 après cinq ans d’exercice. Depuis ma sortie d’école en qualité de commissaire de police jusqu’au poste de directeur, j’ai travaillé pendant 37 années sur des postes de terrain puis pendant quinze ans en administration centrale au sein du même service de la police nationale : la police aux frontières.
J’ai travaillé dix ans avant que l’espace Schengen ne soit une réalité et j’ai vécu différentes crises : migratoire, terroriste, sanitaire, de grands événements et dans la dernière partie de ma carrière au plus près des décideurs. La police aux frontières a un positionnement particulier avec un suivi spécifique des dossiers avec le ministre de l’Intérieur, son cabinet et le conseiller immigration ou le conseiller diplomatique. Ma carrière m’a permis de travailler sous des gouvernements de gauche et de droite avec une forme de continuité sur des axes constants : renforcer les frontières extérieures, améliorer la lutte contre les trafics de migrants et nos performances en matière de retour.
Mes fonctions m’ont permis de côtoyer aussi des institutions européennes comme Frontex et de travailler avec tous mes homologues frontaliers en particulier espagnols et italiens. Notre police aux frontières exerce un rôle central de coordination opérationnelle du contrôle des frontières et de la lutte contre l’immigration irrégulière plus spécifiquement contre les filières criminelles de trafics de migrants ou encore de mise en œuvre de l’éloignement des clandestins, des étrangers sortants de prison, radicalisés, ou terroristes.
Le policier aux frontières est sans doute en France, l’un des observateurs parmi les mieux placés par rapport à ces sujets.
La question migratoire est au premier plan de l’actualité avec les élections européennes du mois de juin 2024, la situation de Mayotte, l’expulsion de certains imams ou encore la mise en cause dans des actes de délinquance d’étrangers sous obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Que faisons-nous de bien et que pourrions-nous faire de mieux ?
Dans l’ouvrage, je rapporte des faits puis je formule de nombreuses propositions opérationnelles mais aussi de gouvernance et de stratégie. En trois cents pages j’aborde des sujets très variés : la question du contrôle des frontières, l’état des flux migratoires, les fraudes à l’entrée et au séjour, les difficultés liées à l’éloignement et bien d’autres avec des anecdotes personnelles.
L’immigration est un sujet complexe mais incontournable où l’humain se trouve confronté aux idéaux politiques, aux complexités juridiques et administratives et aux trafiquants en tous genres. La situation migratoire se dégrade après l’accalmie de l’épisode du Covid, en particulier en méditerranée centrale avec des flux irréguliers orientés vers la France et l’Europe de l’Ouest et du Nord.
Le livre est présenté sous forme d’une interview. J’ai contacté Miss Konfidentielle, journaliste police-justice, pour m’accompagner sur ce projet de bout en bout. Nous avons travaillé le fond et la forme de manière à ce que le livre soit lu et compris du grand public. Il y a un grand travail de pédagogie parce que les Français s’inquiètent, ils ont besoin de comprendre ce qui se passe aujourd’hui et ce qui peut se passer demain. Vous savez, nous sommes dans une époque où tout va très vite, où l’émotion supplante la raison. Notre travail est de présenter le sujet posément, sans attaque mais dans la construction. C’est important.
Beaucoup reste à faire mais les choses bougent car le temps presse. Un pacte migratoire européen pour l’immigration et l’asile va être mis en œuvre à l’initiative de la France. Depuis 2021 il est mis en place un corps européen de garde-côtes et des gardes-frontières et en 2027, Frontex pourra compter sur un effectif de 10 000 gardes-frontières afin de mieux protéger nos frontières extérieures. La France est l’un des pays les plus contributeurs de cette agence.
Vous voyez, autant de sujets traités dans le livre.
J’aimerais dans cette partie de l’interview faire un lien avec la péninsule ibérique (Espagne/Portugal). J’ai lu que vous étiez originaire du sud de la France et que vous aviez des liens avec l’Espagne particulièrement…
Je suis marseillais d’origine, j’ai appris l’espagnol à l’école, j’ai beaucoup d’affinités avec l’Espagne. Je ne suis pas d’origine espagnole, je suis d’origine italienne, malgré mon nom qui est vraiment franco-français. On a tous quelque part, je le dis dans le livre, en recherchant quelques générations antérieures, des origines extérieures à la France. Je crois même que du côté de mon grand-père, il y avait des origines tunisiennes. Mon épouse a dans sa famille des personnes d’origine espagnole.
Avec l’Espagne j’avais noué une relation plus que professionnelle, avec mes collègues espagnols, notamment avec Juan Enrique Taborda Alvarez, mon homologue espagnol. On avait véritablement une relation fraternelle. Professionnelle bien sûr, mais fraternelle, cela veut dire qu’on avait vraiment une communauté de vues que je n’avais pas avec d’autres pays.

Nos décideurs ont des propos qui peuvent avoir des impacts. C’est vrai qu’avec l’Espagne cela n’a jamais été le cas. On a eu des coopérations très étroites à travers la lutte contre ETA et cela nous a beaucoup rapprochés. Moi-même, j’ai été décoré du Mérite de la Police espagnole – distinction rouge. C’est un mérite du ministère de l’Intérieur, une distinction assez rare, qui est donnée à des policiers nationaux ou étrangers. J’ai été décoré de cette médaille à l’Ambassade d’Espagne à Paris.
On se comprend sans se parler avec nos collègues espagnols. Et le deuxième sujet, après ETA, cela a été vraiment la lutte contre les filières et la coordination de nos dispositifs. Je me souviens très bien du G7 qui a eu lieu à Biarritz. Le G7 a été géré de façon remarquable. Faire un G7 à côté des frontières ce n’est jamais l’idéal mais ça nous a forcés à faire un exercice de coopération policière qui a été très réussi parce qu’il n’y a eu aucun incident alors qu’on nous prévoyait toutes les foudres (trouble à l’ordre public). On a coopéré de façon très étroite et on a fait ce que j’appelle une gestion commune de la frontière. Tout cela a pu se faire grâce à nos collègues espagnols du Cuerpo Nacional de Policía (corps national de police d’Espagne). Et puis on avait impliqué nos collègues portugais, bien évidemment, parce qu’on avait bien connaissance de la venue probable de contestataires.
J’ai voulu et créé, avant mon départ, ce que l’on appelle des brigades mixtes. Les brigades mixtes sont des policiers français et des policiers espagnols qui travaillent au sein d’une équipe commune parce que l’on considère que la frontière est un espace commun. C’est une structure permanente de brigades de lutte contre les trafics de migrants, bien sûr, à titre prioritaire, contre les passeurs, contre tous ceux qui véhiculent des migrants. On a créé quelques brigades franco-espagnoles et avec un peu plus de difficultés avec les italiens parce que la politique s’en est mêlée.
L’idée c’est d’avoir des unités conjointes. Tout le monde est preneur parce qu’il faut apprendre la langue du voisin, il faut apprendre le droit national du voisin, il faut avoir les mêmes gestes techniques, professionnels, en cas d’intervention c’est très apprécié de la population, de voir que cette activité de police ne s’arrête pas à la frontière et que les gens se parlent, que les policiers se parlent.
Il y a aussi les centres de coopération policière et douanière dont vous avez certainement entendu parler qui sont des centres d’échanges essentiels à la fluidité parce que tout ne peut pas passer par Interpol ou Europol. Je prends les exemples du renseignement de proximité, l’identification d’une plaque, la recherche d’une adresse, la mise en place d’une surveillance pour un enlèvement d’enfants, des vols de véhicules. La coopération policière franco-espagnole, c’est gagnant-gagnant.
On avait notamment mis en place des patrouilles ferroviaires entre Barcelone et Montpellier. Il y a plein d’exemples où, finalement, on a ce rapprochement, des formations communes, des expertises communes. Les espagnols nous ont appris beaucoup de choses. Ils sont, sur certains sujets, extrêmement pointus. Je pense en particulier à des choses qui concernent l’analyse des flux migratoires. Ils ont déployé des outils qu’on a copiés. La France a toujours l’impression d’être la meilleure du monde et en regardant ce que font nos voisins espagnols, italiens, allemands, on comprend que nous avons des idées à prendre chez les autres, énormément d’idées.
Vous êtes d’origine portugaise, cela me fait penser que j’avais eu l’occasion de faire une mission au Portugal. Quand le Portugal avait intégré l’espace Schengen, j’avais fait une formation technique, une formation de coopération sur l’aéroport de Lisbonne. Et j’avais aidé nos collègues lisboètes, à se rapprocher, à tendre au standard Schengen parce que c’était un pays qui a fait beaucoup d’efforts. Le Portugal s’était restructuré avec le SEF (Service des Étrangers et des Frontières) et j’ai plein d’histoires communes avec ces deux pays, on a des points de vue qui sont très proches, et puis des organisations très proches aussi, surtout avec l’Espagne, un peu moins avec le Portugal, puisque le SEF n’est pas un service policier alors qu’en Espagne, le CGEF (Commissariat général des étrangers et des frontières), c’est quasiment la PAF.
Pour résumer, vous l’avez compris, nous n’étions pas une police repliée sur nous-mêmes, et surtout c’est un service qui est extrêmement discret, comme je le dis dans le livre, c’est un service dont on ne parle pas. Tout le monde connaît la PJ mais personne ne connaît véritablement la PAF. D’ailleurs on se demande si la PAF est un service de police ou un service d’immigration, et bien on est les deux.
Ce que je retiens de cet échange extrêmement enrichissant, c’est votre expertise et votre force de proposition. Vous avez exprimé des sujets sensibles avec une critique juste et bienveillante, toujours dans le but d’améliorer les choses. Je suis certaine que votre ouvrage attirera de nombreux lecteurs.
Je tiens à remercier très sincèrement Miss Konfidentielle pour la mise en relation et à vous féliciter tous les deux pour la coécriture.
Où se procurer le livre ?
Les Éditions Baudelaire ont un partenariat avec Hachette Livre, premier distributeur francophone.
Fnac, Cultura, DECITRE, Furet du Nord, Chapitre.com, Amazon, bol, LIBREL… Librairie Fontaine Haussmann (Paris), Librairie Kléber (Strasbourg), Librairie Gérard (La Réunion).
