Aline Feito, co-fondatrice de « PAINT » le média LGBTQIA+ francophone qui capture la diversité avec authenticité

Bonjour Aline, toutes mes félicitations pour ce joli classement parmi les 18 femmes leaders positives de moins de 35 ans à suivre en 2024. Pour nos lecteurs, je précise que ce classement a été réalisé par Positiv x Les Echos Start, en partenariat avec LinkedIn Actualités.

Au départ ce qui a suscité mon attention en parcourant la liste c’est ton nom de famille d’origine espagnole. C’est en approfondissant ma lecture que j’ai lu que vous étiez les deux pionniers du média PAINT avec ton frère Cédric. Actuellement vous avez 200 000 followers sur Instagram.

On ressent une belle complicité avec ton frère jumeau, peux-tu nous raconter ton parcours, tes voyages et ton rôle ces dernières années auprès de la communauté LGBTQIA+?

Aline : Je suis née dans le sud de la France, à Saint-Raphaël, d’une fratrie de trois enfants, une grande sœur et un frère jumeau qui s’avèrera gay. Mon père est belge et toute ma famille du côté de ma mère est espagnole, j’ai passé toutes mes vacances en Espagne. Ici, à Paris, j’ai que des amis hispanophones et ma copine est espagnole, finalement je passe presque plus de temps à parler espagnol.

Pour en revenir à mes parents qui étaient immigrés, avec une grande ouverture d’esprit, je pense que cela aide aussi à comprendre très vite la différence. Tu grandis dans un environnement où t’es tout le temps en train de t’adapter mais tu ne perds pas pour autant ton identité. Ensuite on est parti à Valbonne sur la Côte-d’Azur quand j’avais dix ans, j’ai grandi dans une école américaine donc internationale, j’étais entourée de beaucoup de gens, toujours dans la diversité, à une époque où je ne savais pas que j’étais lesbienne. J’ai mis du temps pour comprendre jusqu’à mes 18 ans parce que personne autour de moi ne l’était. Il y avait tellement peu de représentations, ce n’était pas une option. Et aujourd’hui ce que l’on fait avec PAINT, c’est quelque chose que j’aurais voulu avoir à l’époque, de me dire c’est possible, ne t’inquiète pas ! Et puis surtout tu célèbres cette différence, cette différence qui n’en est pas vraiment une, mais en tout cas cette caractéristique-là. Après je suis partie étudier au Canada à 18 ans. J’étais à McGill, une université au Québec anglophone. Mon frère est venu avec moi, on a étudié le commerce international, donc rien à voir avec les médias. On pensait travailler plus dans la finance, dans le marketing, finalement ce que la société attend de nous. J’ai eu beaucoup de liberté, je suis partie vivre en Chine, je suis revenue au Canada, puis j’ai vécu au Brésil, et finalement je suis rentrée en France. A ce moment-là, j’ai 22 ans, je ne sais pas ce que je veux faire comme carrière mais je sais que j’aime le sport et que j’aimerais beaucoup accompagner par exemple des femmes dans le sport, ou en tant qu’agente. De là, je travaille dans les droits TV sportifs et finalement mon frère m’appelle un jour et me dit: “Ecoute, on est tous les deux homos, moi gay, toi lesbienne, est-ce que tu penses qu’on devrait travailler ensemble ?”  

On a vécu dans beaucoup de pays, on voyait qu’il y avait très peu de visibilité, peu de représentations en France en 2015. On se dit : on va faire un média, mais à la base européen parce que je veux savoir ce qui se passe en Europe, en Pologne, en Roumanie quand t’es lesbienne, quand t’es trans donc on est parti pendant deux ans faire des mini-reportages partout. En réalité le nom PAINT vient de la peinture car on peignait les visages de chaque intervenant, intervenante, et l’idée c’était de former un drapeau géant LGBT avec les visages de chaque personne peinte dans une couleur. On s’est rendu compte que c’était compliqué, on n’avait pas de réseaux sociaux à l’époque et on s’est dit : pourquoi se compliquer la vie ? Il n’y a rien qui est fait en France. Allons à Paris et développons un concept un peu Konbini facecam, pour montrer cette diversité. Donc là, on est en 2019 avant le Covid, c’est là que commence PAINT. On voit l’engouement, pour la première fois on voit des personnes Trans s’exprimer facecam et des lesbiennes physiquement. Sur papier c’est chouette mais je peux écrire de façon anonyme au nom d’une personne trans, personne ne saura si c’est faux ou non. Donc il faut du visuel et ça prend petit à petit et finalement, au fur et à mesure, il y a vraiment une demande de plus en plus forte de visibilité et de représentations. On en est là aujourd’hui.

J’ai vu sur Instagram le témoignage de ces deux femmes en couple qui ont répondu à une interview et finalement elles ont décidé de ne pas la diffuser de peur d’être jugées par leurs familles et par leurs collègues de travail. On se rend compte qu’il est toujours extrêmement difficile d’aborder le sujet de l’homosexualité en 2024, que penses-tu de ce type de témoignage ?

Aline : C’est vrai que c’est toujours désolant ce genre de témoignage où tu ne peux pas être toi-même parce que finalement ça ne devrait pas être un compromis ou négociable. Et le problème, c’est que souvent les gens qui te recommandent de ne pas en parler sont des gens qui n’y connaissent rien et qui s’en foutent. Ils se disent: “vivons heureux vivons cachés”. Je trouve ça tellement triste, je pense que tu travailles toujours mieux quand t’es toi-même.

C’est une évidence, il s’agit d’amour avant tout mais malheureusement tout le monde n’a pas cette tolérance. Parfois il s’agit aussi d’une question de génération, de tradition ou en effet d’une méconnaissance du sujet tout simplement. Je ne pensais pas m’exprimer ouvertement mais je crois que mon expérience personnelle pourra servir à d’autres personnes qui ne s’assument pas et gagneront un temps précieux dans leur vie, je l’espère. Aujourd’hui j’ai 37 ans, j’assume la personne que je suis et j’assume enfin ma bisexualité, même si en réalité je n’aime pas trop mettre des étiquettes car tout le monde peut changer de vie du jour au lendemain. J’ai mis tout de même 20 ans avant de dire aux gens réellement qui j’étais, je pense que certains seront surpris à la lecture de cet article d’apprendre que j’ai été mariée à une femme et non à un homme. On m’avait dit de garder ma vie privée pour moi, j’ai écouté notamment les conseils de ma mère, de la DRH, je ne leur en veux pas, je pense qu’elles ont voulu me préserver de certaines réflexions déplacées voire blessantes. Par contre je m’en voulais à moi-même car je suis une personne authentique et en cachant cette partie de moi je ne me sentais pas entière. J’ai attendu à chaque fois la fin de mon contrat pour me libérer de ce poids et pour présenter la personne avec qui j’étais éventuellement à ce moment-là. J’ai toujours voulu être discrète mais j’ai bien conscience qu’il est important de libérer la parole et de briser les tabous. Si je ne l’ai pas fait pour moi auparavant, je me dois de le faire aujourd’hui pour toutes ces personnes qui souffrent en silence.

Pourquoi devrions-nous avoir peur d’aimer ? Pourquoi devrions-nous rentrer dans des cases ? Pourquoi devrions-nous subir le regard des autres ? L’amour est la plus belle chose que l’on puisse vivre au monde en commençant par s’aimer soi-même. Cela peut sembler banal mais c’est ce que je ressens au plus profond de mon âme. Est-ce que le fait d’aimer une personne du même sexe change les valeurs d’une personne concrètement ? La réponse est non. Si j’avais été 100% hétéro, mon comportement serait exactement le même. Je ne veux plus me cacher de mon passé et encore moins devoir faire semblant. La peur empêche de vivre, j’avais peur de décevoir, j’avais peur d’être jugée, au final je souffrais de vivre une vie qui n’était pas la mienne. Il y a 10 ans, je m’en souviens très bien c’était le 2 janvier 2014, j’appréhendais énormément la réaction de mon père car son discours sur « le mariage pour tous » en 2013 n’était pas très positif. Finalement en lui expliquant les choses posément, il a bien réagi parce qu’il m’aimait avant tout. En 2019, ma famille est venue à mon mariage, c’était la plus belle preuve d’amour que l’on pouvait me faire.

En 2024, il est temps de dire les choses sans crainte, toujours dans la bienveillance et le respect de l’autre. Vingt ans se sont écoulés depuis ma première expérience avec une femme, demain je peux faire le choix d’être avec un homme ou d’être avec une femme, peu importe je serai moi-même. Pour cela, je remercie ton média qui aide les personnes à se sentir mieux dans leur peau. De nombreuses personnes après 40, 50, 60 ans redécouvrent leur sexualité en tombant sous le charme d’une personnalité, peu importe le genre. Je souhaite sincèrement envoyer un message positif à travers mon témoignage, malgré les difficultés de la vie, rien n’est figé, vivons la vie que nous méritons et arrêtons de nous préoccuper du regard des autres. 

Et toi, comment s’est passé ton coming-out ?  Et celui de ton frère ?

Aline : Moi, j’ai fait mon coming-out à 18 ans, juste avant de partir au Canada. Mon frère, en voyant qu’au Canada j’étais libérée, il a fait son coming-out à 19 ans, un an après moi. Il voyait que j’étais avec ma copine, je pense qu’il avait encore cette homophobie intériorisée. Il avait besoin de voir comment les choses se déroulaient pour moi avant de se libérer.

Est-ce que t’as des statistiques sur les discriminations et les agressions en France relatives à la communauté LGBT ?

Aline : Les stats c’est une vraie question parce que même si après on peut douter de la véracité ou de la façon dont cela a été fait, dans une société les stats permettent de monitorer le décor, de voir ce qui se passe, ce qu’on peut faire, ce qu’on peut améliorer. En France, il y a très peu de stats sur les personnes LGBT en général. Là aussi c’est assez représentatif du fait qu’il n’y a pas encore assez de voix, qu’il n’y a pas encore assez de questions sur ces sujets qui sont levés. Il n’y a pas encore assez de visibilité dans les chiffres et parfois notre valeur ajoutée c’est vraiment qu’on est la première porte directe face aux personnes LGBT. Donc s’il y avait des questions, je pense qu’on aurait plus de réponses.

Toi qui évoquais justement des témoignages un peu complexes et tristes où certains pensent au suicide, est-ce que tu as une équipe pour gérer ça ?

Aline : Non, on est juste tous les deux… Les gens ne connaissent pas les numéros d’urgence, il y a beaucoup de solitude. Il faut essayer de connecter les gens sachant que ce n’est qu’une partie du travail. On reçoit des centaines de messages quotidiens. Parfois on délègue, si on doit faire par exemple des vidéos, des podcasts où c’est filmé, on prend toujours des personnes en freelance ou des entreprises qui bossent avec nous mais les réponses aux messages, les conceptions de vidéo, production, post-production et tout le reste c’est nous. Plus on grandit, plus on nous en demande aussi. C’est une pression qu’il faut accepter, qu’il faut gérer. Donc forcément petit à petit, il faut apprendre à déléguer. Finalement, c’est une aventure qui prend beaucoup de temps…

Qui as-tu interrogé sur Paint ?

Aline : On a interrogé Suzane en podcast, Hoshi, Eddy De Pretto…Il y en a énormément sur notre site internet, on parle avec toutes les drag queens, on peut voir tous les interviewés puisque ça fait quand même beaucoup de temps qu’on fait ce travail. Et là, on va faire une interview de Pomme bientôt.

Qu’est-ce que ça t’a apporté personnellement Paint?

Aline : Je pense déjà que c’est une aventure que tu partages avec ton frère. C’est aussi un travail difficile, très difficile parce que l’entrepreneuriat tu peux tout créer mais tout dépend de toi. Si tu décides de pas travailler, c’est ton choix mais tu dois toujours assumer derrière les conséquences. On reçoit beaucoup de messages de personnes suicidaires, de personnes seules, il y a beaucoup de tristesse, de solitude. Il y a aussi des joies, on ne reçoit pas que ça mais tu ressens une certaine responsabilité. Finalement ça te motive aussi pour créer du contenu, pour t’inspirer, pour rencontrer des gens. C’est un épanouissement personnel. Et puis pour moi c’est un travail mais c’est aussi une vocation. Je n’ai pas beaucoup de temps pour moi, même en général, mais finalement c’est aussi un choix. Tant que ça a du sens, tant que ça aide, moi, ça me va pour l’instant.

Participes-tu à la Pride de Paris ?

Aline : Oui, je fais en sorte de travailler justement parce que c’est le moment où les gens se réunissent. Donc vraiment on a toute la communauté qui est face à nous. On en profite pour faire du contenu, des vidéos. Même pour la pride on n’est pas tranquille, j’avoue. Mais l’idée c’est de faire un maximum et de célébrer. Mais oui, je la fais à Paris. On nous demande d’en faire de plus en plus. En France, pour l’instant on n’a pas le temps mais l’idée serait peut être d’aller voir dans les autres prides. Il commence à y en avoir dans les plus petites villes ou dans les campagnes. Il y a une quarantaine de villes concernées par ces manifestations à des moments différents avec des organismes indépendants. Donc chacun organise et travaille à sa façon, sachant qu’à Paris c’est l’inter-LGBT qui s’occupe de la marche des fiertés.

 Je vois que tu es sportive, aimes-tu un sport en particulier ?

Aline : Moi, j’ai fait du foot pendant longtemps mais j’ai dû arrêter parce que je me suis fait trois fois les croisés. J’ai joué à l’OGC Nice. J’étais assez jeune et assez technique donc les gens avaient tendance à me rentrer dedans. Puis, après, j’ai couru, j’ai beaucoup couru. J’aurais bien voulu accompagner une équipe de foot féminine, être manager ou travailler dans leur com.

Je comprends, j’ai joué en club de nombreuses années et je pratique aussi le futsal, as-tu essayé de travailler avec la Fédération Française de Football (FFF) ?

Aline : Figure-toi, j’ai postulé à l’époque, c’était très administratif, c’était pas du tout ce que je voulais. J’aurais aimé travailler à Lyon, à la FIFA, à l’UEFA mais la vie en a voulu autrement qui sait après PAINT… Même si je ne partage pas forcément toutes leurs valeurs… A voir…

Merci pour ta disponibilité, merci pour tout ce que vous faites, ton frère et toi pour la communauté LGBTQIA+.

Aline : Je te souhaite toute la réussite possible, que tu t’épanouisses avec ton média également, c’est super intéressant comme concept, bravo à toi aussi !

Crédits photos : ©PAINT