Le samedi 16 mars 2024, j’ai assisté à la première édition du Salon du livre lusophone de Paris, un événement organisé par l’Union Européenne des Ecrivains de Langue Portugaise (UEELP) à la Maison du Portugal – André de Gouveia. A cette occasion, j’ai pu échanger de vive voix avec le directeur João Costa Ferreira, un vrai passionné de musique, lauréat de plusieurs concours de piano, nationaux et internationaux.

Bonjour João, peux-tu nous partager ton parcours, ton arrivée en France et ta nomination à la Direction de la Maison du Portugal en septembre 2023 ?
João : Je suis né au Portugal, concrètement dans un hôpital de Coimbra mais je suis naturalisé à Ourém (Nossa Senhora da Piedade). J’ai vécu jusqu’à mes 19 ans à Leiria et fait mes études de piano là-bas, au conservatoire de la ville (Orfeão de Leiria – Conservatório de Artes).
Je suis venue en France en 2005 pour poursuivre mes études de piano à l’Ecole Normale de Musique de Paris. J’ai étudié avec Marian Rybicki et, plus tard, avec Guigla Katsarava.
Entre 2010 et 2013, j’ai fait une licence en musique et musicologie à Sorbonne Université. En même temps, je préparais le diplôme supérieur de l’exécution en piano à l’Ecole Normale de Musique de Paris.
Entre 2013 et 2015, j’ai fait mon master en recherche sur le compositeur portugais José Vianna da Motta. Mon mémoire portait spécifiquement sur ses rhapsodies portugaises, un cycle de cinq œuvres inspirées du folklore portugais. C’est un genre musical qui cherchait à mélanger l’univers populaire et érudit, à évoquer une sorte de couleur nationale.
Après mon master, j’ai préparé le concours de la Fondation pour la Science et la Technologie du Portugal pour obtenir une bourse de doctorat. Dans ma thèse, je me suis penché sur le rapport entre l’écriture pianistique des manuscrits du compositeur et sa technique pianistique. J’ai terminé mon doctorat précisément le 14 mars 2022.
Un an plus tard, je vois le concours pour devenir directeur de la Maison du Portugal. Je me suis dit : pourquoi pas ? Je me suis dédié comme une sorte de mission à la réhabilitation et la valorisation du patrimoine musical portugais à travers la publication et l’enregistrement des œuvres de José Vianna da Motta. J’avais compris que pour être directeur de la Maison du Portugal il fallait, entre autres, avoir ce même esprit de mission.
Je suis arrivé à ce poste en septembre 2023. Je suis actuellement le plus jeune directeur de Maison à la Cité internationale universitaire de Paris. Je n’avais pas été résident ici mais je connaissais la Maison depuis des années. J’y avais fait quelques concerts. Je voyais qu’à l’Ambassade du Portugal à Paris il n’y avait ni l’espace ni les conditions logistiques pour accueillir de grands concerts. Pareil pour le Consulat du Portugal à Paris. La Maison du Portugal – André de Gouveia au contraire, bénéficiait de deux grandes salles. En outre, elle avait beaucoup d’activités pour la valorisation de la langue portugaise, avec des séminaires, des colloques, des spectacles en portugais comme des pièces de théâtre, entre autres. Cette valorisation de la langue ne se limitait pas au portugais du Portugal. Il y avait aussi le portugais du Brésil, des pays africains de langue officielle portugaise (PALOP : Países Africanos de Língua Oficial Portuguesa) dont l’Angola, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, le Mozambique et São Tomé-et-Príncipe, mais aussi d’autres pays comme Timor.
J’ai effectué quelques recherches sur la construction de la Maison du Portugal. J’ai d’ailleurs appris qu’elle avait été inaugurée en 1967 sous le nom de Maison des étudiants portugais et qu’elle avait été financée par la Fondation Calouste Gulbenkian. « José Henrique de Azeredo Perdigão, le président de la Fondation Calouste Gulbenkian s’était engagé à financer la construction d’une maison à la Cité internationale car il souhaitait offrir aux étudiants et aux chercheurs du Portugal de bonnes conditions d’accueil et renforcer ainsi l’action menée par la Fondation à travers sa politique de bourses d’étude. Depuis 1974, la Maison du Portugal porte le nom d’André de Gouveia, un humaniste portugais du 16e siècle. Il était le fondateur du Collège Royal des Arts à Coimbra et recteur de l’Université de Paris en 1533. »
La Maison du Portugal est une belle vitrine lusophone à Paris que je suis heureuse de partager à nos lecteurs. Depuis 2020, la Maison du Portugal – André de Gouveia accueille la Bibliothèque Gulbenkian, une bibliothèque de recherche spécialisée en sciences humaines et sociales sur le Portugal et les pays de langue portugaise.
Lors de l’ouverture du Salon du livre lusophone de Paris, vous étiez nombreux pour cette première édition. Il y avait à tes côtés Isabel Corte-Real (Conseillère culturelle de l’Ambassade du Portugal à Paris et Directrice de l’Institut Camões), Filipe Ortigão (Consul Général Adjoint du Consulat général du Portugal à Paris), Ana Paula Carvalho (responsable du Service Coopération Éducative à l’Ambassade du Brésil) ainsi que les membres du bureau de l’UEELP (Mazé Torquato Chotil, Marco Guimarães, Marcia Camargos et Dominique Stoenesco).
Durant le Salon, les visiteurs avaient la possibilité d’accéder à quelques stands d’éditeurs et de libraires (Chandeigne, Petra, L’Harmattan, Librairie portugaise et brésilienne), aux publications de la Revue des Langues Néo-latines, aux activités de l’Association pour le Développement des Études Portugaises, Brésiliennes, d’Afrique et d’Asie lusophones et à une exposition sur les livrets («folhetos») de la littérature de «cordel».
Puis-je avoir ton impression sur l’organisation de cet événement en tant que directeur de la Maison du Portugal ?
João : La Maison du Portugal est une vitrine privilégiée du monde lusophone. Il est donc important de proposer des projets culturels; autour de la littérature et de la poésie, comme par exemple le Salon du livre lusophone de Paris. J’ai reçu pour la première fois trois des principaux organisateurs (Dominique Stoenesco, Mazé Torquato Chotil et Marco Guimarães) au mois de septembre, dès mon arrivée à la Maison du Portugal. Ils avaient à l’époque l’ambition de faire ce Salon en décembre 2023. J’ai préféré attendre un peu et proposer le mois de mars pour mieux préparer l’événement. Le mérite du succès de cet événement revient essentiellement à l’UEELP (Union Européenne des Écrivains de Langue Portugaise), une association qui travaille pour la visibilité des écrivains lusophones, notamment ceux qui vivent à l’étranger. D’ailleurs je tiens à souligner que les événements associatifs ont une grande importance en France. Les associations lusophones ou lusophiles se mobilisent très bien. Ils adhèrent aux événements des autres. Ils ne sont pas enfermés. En tout cas, je suis très content du succès de cette première édition. Une deuxième édition aura sans doute lieu l’année prochaine.
Je partage ton avis, un défi relevé pour une première édition. Les échanges étaient pertinents. Je pense notamment aux témoignages de ces deux femmes brésiliennes lors de la première table ronde sur l’identité, l’appartenance et la saudade dans la littérature lusophone en diaspora. Un sentiment partagé sur la perte d’identité entre le pays de naissance et le pays d’accueil. Plusieurs intervenants ont évoqué ce sentiment dont certaines personnes dans le public.
On évoque souvent la richesse d’une double culture, qu’est-ce que représente le “frantugais” à tes yeux ?
João : Cela me renvoie tout de suite à un projet que j’ai reçu ici le 23 février et que je compte d’ailleurs accueillir en 2025. Il s’agit d’un projet qui s’appelle le Fusionnaire.org, fondé par l’artiste Filipe Vilas-Boas. Il recense dans un dictionnaire des mots inventés qui fusionnent le portugais et le français. À force de leur usage au fil des années, certains de ces mots ont même fini par entrer dans le vocabulaire ! Je crois que c’est le cas de “caçarola” par exemple. Tout le monde peut participer ; c’est un projet collaboratif. A l’occasion du centenaire de la Cité internationale universitaire en 2025, j’aimerais présenter ce projet à d’autres Maisons, d’autant plus que je travaille spécifiquement sur ce centenaire. La Cité internationale universitaire a été fondée en 1925 pour que des jeunes intellectuels du monde entier se rencontrent et comprennent que malgré leurs origines différentes ils ne sont pas si différents les uns des autres. Leurs langues et leurs cultures sont le fruit de croisements. Un projet comme le Fusionnaire illustre bien ces croisements.
As-tu d’autres passions que le piano ?
João : Oui, j’aime l’astrophysique. Enfin, c’est un grand mot. Je n’aime pas observer l’espace, ça m’ennuie. Mais j’aime apprendre sur l’espace. C’est, entre guillemets, « ma religion ». Je mesure tout par rapport à l’ampleur, à la dimension de l’espace. C’est en partie à partir de là que je construis ma morale et mes valeurs.
D’où vient cet attrait justement pour l’univers ?
João : Quand j’avais huit ans environ, j’ai acheté au Continente (supermarché au Portugal) des cassettes VHS pour graver des dessins animés. En achetant ces cassettes, une cassette d’un documentaire sur l’espace était offerte. Je mets cette cassette et la première phrase était : « au début, le monde n’était rien. » (je traduis en français, je ne sais pas si je le traduis bien). Tout en noir… On est dans les années 90, avec la connaissance scientifique de l’époque. Entre-temps, cette connaissance a évolué. Ça m’a scotché cette phrase. Elle m’a fait beaucoup penser à l’univers, à l’origine de l’univers. Et puis tout ça m’a amené à lire sur l’univers, les étoiles à neutrons, les trous noirs. Ça me passionne.
Et puis, il y a ces médiateurs scientifiques, ou plutôt vulgarisateurs scientifiques, que j’aime beaucoup : Carl Sagan qui, dans les années 70-80 avait fait la série Cosmos que j’ai beaucoup suivie ; et, plus tard, Neil deGrasse Tyson qui a été comme son « remplaçant » et qui a donné suite avec Cosmos : partie 2 ; il y aussi Richard Dawkins, mais dans la biologie, que j’aime beaucoup entendre et lire. J’aime beaucoup ce que font les vulgarisateurs scientifiques. D’ailleurs, j’aimerais créer en 2025 un festival de la vulgarisation culturelle et scientifique au sein de la Cité universitaire, pas seulement à la Maison du Portugal. J’aimerais créer un festival avec des événements aussi bien culturels que scientifiques dans lesquelles on expliquerait des choses complexes avec un langage simple, pour rendre accessible des choses qui paraissent pour beaucoup inaccessibles.
Je te remercie d’avoir mis en lumière la Maison du Portugal, j’espère sincèrement te voir jouer au piano prochainement. J’aime particulièrement cet instrument de musique, j’en ai d’ailleurs un chez moi.
Pour obtenir plus d’informations sur la Maison du Portugal, connectez-vous sur le site de la Cité universitaire internationale de Paris (CIUP).

Crédits photos : ©Paul Robion (João Costa Ferreira au piano) ©Antoine Meyssonnier (Maison du Portugal)
