J’ai rencontré Bertrand de Solere au Forum Amérique latine au Sénat à Paris le 11 octobre 2024. Bertrand est un avocat franco-brésilien, sa pratique couvre tout type de problématiques rencontrées par les investisseurs étrangers au Brésil telles que le droit des sociétés, les fusions et acquisitions, la fiscalité, le droit du travail, les visas de résidence, le droit civil, l’immobilier et les successions.
Par Diane Cardoso-Gomes, fondatrice de Paris Latina News

Bonjour Bertrand, pourriez-vous nous partager votre parcours académique et votre intérêt pour le Brésil ?
Bertrand : J’ai grandi dans une petite ville de province qui s’appelle Laval, en Mayenne. Après mon bac j’ai fait mes études de droit à Tours pendant trois ans et ma maitrise à Poitiers et à Galway en Irlande. Ensuite je suis allé à Paris suivre des cours un peu diversifiés, je me cherchais un petit peu à l’époque. J’ai pris des cours d’arabe aux Langues Orientales, j’ai suivi une licence en sciences politiques et puis j’ai fait mon service militaire. A la suite de tout cela, je suis parti au Brésil. Alors pourquoi le Brésil ? En fait je suis né au Brésil, mon père était géologue là-bas au moment de ma naissance. J’y ai vécu trois ans et je suis allé en France. A l’âge de 25 ans, je suis parti découvrir le Brésil que je ne connaissais pas. Comme j’avais le passeport c’était assez simple et une fois sur place, j’ai vadrouillé un peu et puis j’ai commencé à travailler dans un grand cabinet d’affaires à Rio de Janeiro, qui avait de nombreux dossiers d’investisseurs français, des grands groupes tels que Suez, Total, Leroy Merlin, Crédit Lyonnais, Alcatel, Laffarge. Le milieu des années 90 c’est le début de la stabilité monétaire, avec la fin de l’hyperinflation. A cette époque les investisseurs étrangers arrivaient massivement. C’est l’époque, 1997, où le groupe PSA Peugeot Citroën décide de s’implanter au Brésil. J’ai rejoint le cabinet pour travailler avec l’associé responsable de ce dossier. J’étais formé en droit en France donc j’ai commencé comme stagiaire dans ce cabinet. J’ai travaillé cinq ans sur ce dossier. Parallèlement j’ai revalidé mes diplômes de droit au Brésil et j’ai passé l’examen du barreau local. Je suis avocat brésilien depuis 25 ans et mon expérience c’est le Brésil.
A côté de l’implantation de PSA, j’ai aussi travaillé pour d’autres investisseurs étrangers, français principalement. J’ai eu des dossiers avec Seb pour les contrats de transfert de technologie, avec Total, avec Leroy Merlin, avec GL Events, avec beaucoup de groupes français et puis au bout de dix ans dans ce cabinet, j’ai monté mon cabinet en 2008. Il s’agit d’un cabinet boutique 100% dédié aux investisseurs étrangers ou à des questions transfrontalières. Je travaille aussi beaucoup sur des questions de protections des données, sujet sur lequel j’ai obtenu une certification Data Protection Officer – DPO en France par le Bureau Veritas et la CNIL. Mais je travaille surtout sur l’implantation d’étrangers au Brésil. Mon savoir-faire c’est le droit des affaires, le corporate, le M&A – les acquisitions d’entreprises brésiliennes par les entreprises étrangères, avec beaucoup de fiscalité et de droit social.
70 % de ma clientèle est française, les 30 % restants sont d’autres étrangers. Je n’ai quasiment pas de dossier brésilien-brésilien. Je peux avoir des dossiers avec des brésiliens mais c’est parce qu’il y a une composante étrangère.
Je vis en fait depuis 25 ans à Rio de Janeiro et depuis dix ans j’ai développé mes activités à São Paulo. Rio a beaucoup perdu de son influence et São Paulo en a gagné beaucoup c’est vraiment la capitale des affaires.
J’ai connu Rio de Janeiro il y a 10 ans, la situation a-t-elle évoluée ?
Bertrand : Pas tellement depuis 10 ans, ça avait déjà beaucoup changé il y a 10 ans. Quand je suis arrivé au Brésil, il y a 28 ans, ce n’était pas encore le cas. D’ailleurs le grand cabinet dont je vous parle qui travaillait pour tous les grands groupes français était basé à Rio. A l’époque, les cadres français, les patrons de banques françaises habitaient tous à Rio. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, moi j’ai vu le mouvement, il y a dix ans ils étaient déjà partis. Alors il reste à Rio quand même de belles entreprises françaises comme L’Oréal, Michelin, Servier, Voltalia, ENGIE, tout ce qui est dans le pétrole aussi, Total, mais autrement la majeure partie des grosses affaires sont parties à São Paulo.
Actuellement vous êtes plutôt en France ou au Brésil ?
Bertrand : Je viens beaucoup en France depuis deux ans car j’ai acheté une maison en Mayenne et j’essaie de développer mes affaires ici puisque ma clientèle qui est plutôt française va vers le Brésil. Cela a été assez difficile à l’époque du Covid, tout s’est arrêté. En plus c’était la présidence de Bolsonaro, pas du tout populaire en France. Avec mon profil, les activités n’allaient pas très bien, il a fallu que je me remue un peu pour changer un peu les choses. Depuis 2-3 ans ça reprend pas mal mais il y a eu quand même deux années très difficiles en 2020-2021. Le Brésil est entré en récession très forte à partir de 2016, ensuite il y a eu l’élection de Jair Bolsonaro, les relations France-Brésil ont été complètement anéanties et ensuite il y a eu le Covid. Ces trois raisons ont fait que le flux s’est complètement stoppé.
Heureusement les affaires redémarrent bien depuis quelques années pour le Brésil, selon vous quelle vision l’Europe a-t-elle du continent latino-américain ?
Bertrand : On continue en Europe et dans le monde occidental d’une façon générale à considérer l’Amérique latine un peu comme une région pas très sérieuse, mais c’est très exagéré. Quand on regarde le Brésil, que je connais bien, ils sont tellement attachés à leur stabilité économique que quand un président s’écarte trop des équilibres économiques, comme Dilma Rousseff, le Congrès la destitue (plus de 65% des membres du Congrès). C’est un truc qu’on ne ferait pas en France et en Europe. On ne va pas destituer un président ou un gouvernement parce qu’il y a un déséquilibre budgétaire. Il y a beaucoup de choses qui doivent être revues par les gens qui ne connaissent pas l’Amérique latine et qui ne connaissent pas le Brésil parce que c’est un pays finalement assez stable et sérieux.
On pointe toujours le Brésil du doigt pour les problèmes écologiques mais, par exemple, le Brésil a déjà fait sa transition énergétique. C’est le troisième pays au monde, derrière le Canada et la Nouvelle Zélande, avec 78% d’énergie renouvelable dans la matrice énergétique. C’est un pays qui est toujours en excédent commercial. C’est le deuxième pays qui reçoit le plus d’investissements étrangers au monde après les Etats-Unis. Son gros problème est ses inégalités sociales très marquées, liées à son passé esclavagiste.
Autre chose, le Brésil a un système de santé publique complètement gratuit, ce qui n’est plus le cas en France, par exemple, ou on doit de plus en plus payer un petit reliquat de 3-4-5 ou 10 €. Evidemment on trouve beaucoup d’hôpitaux publics dans un état déplorable mais on en trouve aussi dans un bon état. J’ai reçu il n’y a pas très longtemps d’un ami brésilien une vidéo sur Instagram d’un anglais qui sortait d’un hôpital public halluciné par la qualité des services qu’il a reçus sans débourser 1 centime. Il y a plein de choses comme ça qui ne sont pas mises en valeur et qui pourtant devraient l’être. Mais vous savez, les brésiliens eux-mêmes ne mettent pas en valeur leur pays, ils considèrent eux-mêmes qu’ailleurs, en Europe ou aux Etats Unis, c’est sûrement beaucoup mieux. La réalité c’est qu’il y a beaucoup de choses qui ne vont pas trop mal, voire mieux qu’en Europe. Quand ils ne voyagent pas, ils ont l’impression que dans leur pays il n’y a que des problèmes. Et puis nous c’est l’inverse, il y a des français qui n’ont jamais quitté la France et qui croient que notre système de santé et notre service public d’une façon générale sont les meilleurs du monde, ce qui n’est plus toujours vrai. Il y a tout un côté psychologique qui fausse un peu la réalité des choses. Le musicien carioca Tom Jobim disait que « vivre à New York c’est bon, mais c’est la merde. Vivre à Rio de Janeiro c’est la merde, mais c’est bon« . Ce qui est sûr c’est que c’est toujours très agréable de vivre avec des brésiliens.
J’ai lu que vous aviez été nommé Conseiller du Commerce Extérieur de la France (CCEF) par le gouvernement français en 2012…
Bertrand : En effet je suis Conseiller du Commerce Extérieur de la France au Comité Brésil dont je suis trésorier et vice-président, ce qui me permet de mieux connaitre la communauté d’affaires française, ainsi que les problématiques économiques que nos entreprises, dans tous les secteurs, peuvent rencontrer au Brésil. Nous travaillons ensemble avec les pouvoirs publics français pour favoriser l’engagement de VIE (jeunes professionnels français et européens volontaires pour travailler à l’international en entreprise française) ; promouvoir les investissements brésiliens en France ; relayer les problèmes divers que nos entreprises peuvent rencontrer au Brésil ; orienter les PME françaises qui cherchent à s’implanter au Brésil ; et informer des conditions économiques sectorielles des affaires au Brésil.
Vous êtes également certifié Délégué à la Protection des Données – DPO par la CNIL, pourriez-vous nous expliquer cette certification de façon plus détaillée ?
Bertrand : La législation et la règlementation sur la protection des données personnelles, autant en Europe avec le RGPD, qu’au Brésil avec la Loi LGPD, mettent en place des contraintes que toutes les organisations doivent respecter pour protéger au maximum la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des données personnelles qu’elles sont amenées à connaitre et traiter dans le cadre de leurs activités. Le DPO est la personne responsable de mettre en place, au sein d’une organisation, les outils nécessaires à la protection de ces données. Travailler avec un DPO certifié permet à une organisation de pouvoir démontrer aux autorités publiques de contrôle qu’elle prend les mesures nécessaires à la protection des données personnelles.
Quelles sont vos passions dans la vie ?
Bertrand : J’aime beaucoup le sport, je fais beaucoup de football, un peu moins maintenant. J’en ai fait 25 ans au Brésil et j’ai fini par m’arrêter parce que je commençais à me faire mal. Je joue beaucoup au tennis. Je fais beaucoup de vélo. J’aime l’histoire, je lis beaucoup d’essais.
J’ai joué longtemps au football donc je comprends votre première passion pour le sport.
Bertrand : D’ailleurs il y a de plus en plus de filles qui jouent, il y avait des filles avec nous dans l’équipe. Vous jouez dans une équipe ?
Oui, je joue actuellement dans le Var et je joue aussi en équipe de France féminine de futsal avec l’UNCFS | AMF. Une coupe du monde est en train de s’organiser au Chili normalement avec l’Association Mondiale de Futsal, cela serait génial de pouvoir jouer en Amérique latine pour la France.
Pour terminer cette interview, quel message adresseriez-vous aux jeunes qui souhaitent devenir avocat ?
Bertrand : C’est un métier passionnant car il permet de s’intéresser à beaucoup de choses. Un avocat peut choisir une myriade d’orientations, telles que les droits de l’homme, le droit des entreprises, les affaires publiques et institutionnelles, le droit des travailleurs etc… Un avocat peut se dédier à du contentieux, de la gestion de conflits, ou du conseil (éviter les conflits). Toutefois, il faut avoir à l’esprit que la profession va se transformer en profondeur et rapidement du fait de l’innovation technologique, principalement l’intelligence artificielle. Des outils performants pourront bientôt fournir des consultations fiscales et juridiques de très hautes précisions, plus rapidement et beaucoup moins chères qu’un avocat. Les services juridiques vont se populariser, car moins chers, devenant accessibles à beaucoup de monde. Je pense qu’aujourd’hui, choisir le métier d’avocat requiert une étude prospective bien réfléchie.

