J’ai assisté le vendredi 23 mai, au théâtre des Gémeaux Parisiens dans le 20e arrondissement, à la représentation du spectacle « La Fleur au fusil » avec une belle mise en scène réalisée par Jean-Philippe Daguerre. J’ai trouvé l’interprétation de Lionel Cecilio sur scène incroyable, je vous invite à découvrir son parcours et l’écriture de ce spectacle sur une période importante de l’histoire contemporaine du Portugal : la Révolution des Œillets.
Par Diane Cardoso-Gomes, fondatrice de Paris Latina News

Bonjour Lionel, merci d’avoir accepté cette interview. Peux-tu nous parler de ce lien si particulier entre la France et le Portugal ? J’ai lu que tes deux parents étaient nés au Portugal d’ailleurs, est-ce exact ?
Lionel Cecilio : Bonjour, merci à toi. Effectivement mes deux parents sont nés au Portugal, et comme tous les enfants de seconde génération d’émigrés, il y a un lien très fort avec le pays d’origine de mes parents. C’est toujours aux racines de nos arbres généalogiques que l’on va chercher à savoir qui on est et d’où l’on vient. Je crois que ce qui me lie davantage encore au Portugal, ce n’est ni le pays en lui-même ni sa culture, ni même sa langue, ce qui me rend très intime avec tout cela c’est le lien vis-à-vis de mes parents et de mes grands-parents. J’ai la curiosité de connaître qui ils ont été avant moi, de quoi ils se sont nourris, ce qui les a construit et ça c’est quelque chose que je trouve encore plus beau. Les racines sont davantage dans les parcours de vie des individus que dans les mouvements de masse ou de peuple. D’ailleurs personnellement mes origines sont mêlées et au-delà du Portugal il y a de l’Italie et du Maroc et même si mon lien avec ces deux pays n’est pas aussi « intense » qu’avec le Portugal, il existe aussi et il me nourrit aussi. Je trouve que c’est une très grande richesse de posséder en soi une part de tous ces parcours de vie qui ont mené en s’imbriquant les uns dans les autres à me donner une chance d’être là.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir comédien ?
Lionel Cecilio : Oh là ! C’est une longue histoire mais disons que, pour faire court, je suis arrivé sur une scène par des hasards de la vie. (Qui n’en sont peut-être pas d’ailleurs.) Sur le moment j’ai simplement eu l’impression de me redécouvrir dans l’immense plaisir que j’avais à « jouer » comme un enfant. Et puis, le partage de ce moment avec les partenaires et avec le public. Je crois que ce qui me plaît le plus dans ce métier c’est de créer une bulle dans laquelle on est « ensemble » l’espace d’un instant, coupé du monde, de ses turbulences et de sa temporalité étourdissante. On est juste là réunis par l’émotion partagée de l’histoire qui se raconte et qui se vit. Maintenant avec un peu plus de recul, je pourrais aussi dire que ce qui me plaît profondément dans ce métier c’est juste de raconter des histoires. On revient à cette notion de partage finalement. Raconter des histoires, partager des émotions. Lire un livre sur une place de village, jouer dans un film, raconter une histoire au coin d’un feu à la manière des griots d’antan, tracter au festival d’Avignon, tenir le crachoir à un dîner, ou jouer dans une salle de 1000 places, ça n’a strictement aucune différence. Pour moi c’est exactement le même plaisir. D’ailleurs j’aime bien me dire que je ne suis ni comédien ni acteur, j’aime bien me dire que je suis un artisan du verbe.
Comment s’est déroulée l’écriture du spectacle « La Fleur au fusil » ? J’imagine que tu as dû énormément te documenter pour livrer autant de détails sur la dictature au Portugal et pouvoir incarner chaque personnage avec justesse…
Lionel Cecilio : Oui, effectivement c’était une écriture totalement différente de mes autres spectacles. Il s’agissait d’une histoire vraie… contemporaine… récente ! Il y avait trop de risques de se tromper. Je ne voulais pas tomber dans l’aspect politique qui aurait pu ternir les parcours humains que je voulais raconter. C’est ce que je raconte ici, les parcours de ces hommes et de ces femmes ordinaires qui dans un contexte extrême parviennent encore à trouver en eux la lueur d’humanité qui pourra les sauver. Je reste convaincu que l’on commence par se sauver soi-même avant que l’histoire ne fasse de nous une pièce d’un puzzle qui sauve le reste du monde. C’est ce que dit l’un de mes personnages d’ailleurs « Peut-être que je ne changerai pas la face du monde mais moi au moins je pourrai me regarder dans une glace. » Alors oui je me suis beaucoup documenté, j’avais la hantise de les trahir, de trahir leur vécu, leur engagement et leur humanité. Et puis une fois que je m’étais plongé à cœur perdu dans ce travail d’archiviste, j’étais à la fois richissime de tout cela mais presque trop riche. Mon empathie forçait ma plume. J’avais envie de tout mettre. Et là il y a eu un énorme travail de mon metteur en scène Jean-Philippe Daguerre qui a su me renvoyer en écriture comme on dit pour faire des coupes, des inversions, des ajustements pour retomber sur l’histoire la plus tendue possible. D’ailleurs certaines phrases du spectacle sont de lui… Le titre aussi c’est lui qui l’a trouvé. Comme je disais tout à l’heure je me considère comme un artisan et je crois que malgré son immense succès et ses 9 Molières et autres récompenses Jean-Philippe en est un aussi. Et c’est comme ça qu’on a travaillé. Main dans la main, comme des compagnons, avec l’humilité de se faire tout petits face à ces immenses parcours de vie dont nous ne sommes que les rapporteurs finalement.
Tu es passionné par le théâtre mais aussi par le grand écran. Si tu devais citer quelques projets marquants dans ta carrière artistique ces dernières années…
Lionel Cecilio : Il y aurait évidemment « Coupez » de Michel Hazanavicius, « Monsieur Aznavour » de Grand Corps Malade et Mehdi Idir ou encore « Divertimento » de Marie-Castille Mention Schaar. J’ai une chance inouïe, je suis fier de tous ces films. Je le dis avec beaucoup d’humilité parce que je n’ai que des petites partitions dans ces films qui sont immenses mais je le dis quand même : il n’y a que des chefs-d’œuvre dans ma filmographie. C’est ma chance… J’espère que ça continuera comme ça et je remercie tous les jours ma bonne étoile de me permettre de travailler sur des films dont je suis si fier et avec des réalisateurs de ce calibre aux côtés desquels j’ai tant appris.
Quel message souhaites-tu transmettre aux jeunes qui liront cet article ?
Lionel Cecilio : Je n’ai pas vraiment de message à faire passer. C’est toujours très délicat, j’ai l’impression d’être encore à l’endroit où tu demandes des conseils et non pas là où tu les donnes. Tu sais c’est la chanson d’Aznavour justement « Je me voyais déjà racontant ma vie l’air désabusé à des débutants friands de conseils ». Les messages que je souhaite transmettre aux jeunes sont plutôt dans mon spectacle où je m’exprime, j’adore avoir des jeunes dans ma salle pour ce spectacle. Qu’ils sachent que c’est possible un monde meilleur, de l’initier tous ensemble, de le faire naître pacifiquement. C’est ici et maintenant car demain il sera trop tard. Les libertés se perdent tout doucement mais se reconquièrent encore plus lentement. Alors si j’avais un conseil à leur donner : saisissez-vous du monde ! Le monde est à vous ! Venez voir la Fleur au fusil !
Dates à retenir :
Festival d’Avignon, du 5 au 26 juillet à 13h15 au Théâtre des Gémeaux (relâche les mercredis)
Paris, du 11 septembre au 18 novembre à 21h00 au Théâtre de La Huchette (du mardi au samedi | relâche les mercredis)


