Christophe Sureau partage son expertise sur la situation au Guyana : le nouvel eldorado du pétrole

Partons à la découverte du Guyana, un pays de 800 000 habitants situé en Amérique du sud dont la langue officielle est l’anglais. Je vous invite à lire cette interview très intéressante de Christophe Sureau dans laquelle il dévoile les nombreuses ressources naturelles de cette zone géographique.   

Par Diane Cardoso-Gomes, fondatrice de Paris Latina News

Bonjour Christophe, quel plaisir de partager ton expérience au Guyana auprès de nos lecteurs. Raconte-nous cet attachement pour ces communautés amérindiennes…

Christophe Sureau : Ma première rencontre avec les communautés amérindiennes remonte à un stage de trois mois au Guyana, au sein de la société Amazon Caribbean Guyana. Depuis 1987, cette entreprise fondée par deux Français produit des conserves de cœurs de palmier sauvage certifiés biologiques par Ecocert France, en collaboration étroite avec les communautés amérindiennes. Son principal site de production a été installé au cœur de la forêt amazonienne du Guyana, et recrute principalement dans les villages de la région nord-ouest du pays. Aujourd’hui, plus de 500 familles amérindiennes — soit plusieurs milliers de personnes — vivent de cette activité depuis près de quarante ans.

Pendant mon stage, je travaillais aux côtés des Amérindiens, à l’usine comme à bord des petites embarcations chargées de la récolte quotidienne des cœurs de palmier en pleine jungle. J’ai découvert des personnes simples, heureuses, vivant au rythme de la nature, sans se soucier outre mesure du lendemain. Leur quotidien, fondé sur l’autosuffisance, m’a profondément marqué. Contrairement à certaines représentations, je n’ai pas perçu la pauvreté dans ces villages : les gens mangent à leur faim, vivent dignement avec peu, et semblent plus en paix que nombre de citadins occidentaux.

C’est pourquoi j’ai toujours été sceptique face aux discours des ONG ou des institutions publiques qui qualifient ces populations — ou plus largement les Guyaniens — de « plus pauvres d’Amérique latine », en se basant uniquement sur des critères matériels. Pour moi, la pauvreté ne se mesure pas à l’absence de télévision, de climatisation ou de voiture. Un Amérindien vivant dans une case simple, cultivant son jardin, pêchant, chassant, cueillant des cœurs de palmier, et se déplaçant en pirogue, peut être aussi — sinon plus — heureux qu’un Français habitant une belle maison, roulant en voiture, mais passant deux heures par jour dans les transports en commun.

Cette expérience a été une révélation à ce moment de ma vie, et elle a profondément influencé mon parcours. Après mes études de management international à l’ISG et dix mois de service militaire, je suis retourné au Guyana en 1996 pour y travailler deux années supplémentaires au sein d’Amazon Caribbean Guyana. De retour en France, j’ai pris la direction commerciale de notre entreprise familiale, spécialisée dans la distribution de cœurs de palmier et d’autres produits du monde. En 2009, avec l’aide de mon frère, nous avons racheté Amazon Caribbean Guyana. Depuis, l’aventure continue, portée par les mêmes valeurs de respect, de collaboration et de durabilité.

Quel est ton rôle au sein des conseillers du Commerce extérieur de la France (CCE) et du comité CARICOM ?

Christophe Sureau : Les conseillers du Commerce extérieur (CCE) sont des entrepreneurs et dirigeants d’entreprise nommés par décret du Premier ministre pour un mandat de trois ans, exercé à titre bénévole. Ils ont quatre grandes missions :

  1. Conseiller les pouvoirs publics grâce à leur expertise sur les enjeux du commerce international,
  2. Accompagner les entreprises, en particulier les PME et start-up, dans leur développement à l’international,
  3. Former les jeunes aux carrières internationales, notamment via le dispositif VIE (Volontariat International en Entreprise),
  4. Promouvoir l’attractivité de la France à l’étranger.

En tant que CCE basé au Guyana, nous faisons face à une difficulté majeure : l’absence, jusqu’à récemment, de liens structurés avec les institutions françaises et la Team France Export. Afin de mieux faire connaître le potentiel de notre région et d’attirer l’attention des entreprises et des décideurs français, j’ai eu l’initiative de créer un nouveau Comité des CCE de la zone CARICOM, officiellement lancé le 30 juin 2025.

Ce comité couvre aujourd’hui 7 pays parmi les 15 membres de la CARICOM (près de 20 millions d’habitants) : le Guyana, le Suriname, Trinidad, le Belize, la Grenade, la Jamaïque et la magnifique île de Sainte-Lucie.

Contrairement à d’autres régions du monde, la zone CARICOM ne bénéficie pas encore de structures d’appui telles qu’une Chambre de Commerce française ou une représentation locale de la Team France (Business France, Bpifrance, etc.). Là où ces structures existent, les CCE peuvent agir avec davantage d’impact, grâce à un soutien institutionnel renforcé. Ici, nous avons longtemps dû avancer seuls, avec un accès limité aux données économiques et sans véritable reconnaissance du potentiel économique de notre région.

L’annonce faite par le Président Emmanuel Macron en mars 2024 de l’ouverture d’une ambassade de France au Guyana, prévue pour la fin de l’année 2025, représente une avancée historique pour nous, CCE. C’est l’aboutissement de plus de 15 ans de travail de terrain, menés aux côtés de mon collègue Jean-François GERIN. Nous tenons à remercier chaleureusement les sénateurs Philippe Folliot et François Bonneau, ainsi que notre députée Éléonore Caroit, pour leur soutien déterminant dans cette démarche.

L’arrivée du premier ambassadeur de France au Guyana, attendu en octobre 2025, marque le début d’une nouvelle ère. Nous aurons à cœur de travailler main dans la main avec l’ambassade, les services économiques régionaux, la Team France et les acteurs locaux pour mobiliser les entreprises françaises, les inciter à s’intéresser à la zone CARICOM, y développer leurs activités et y investir.

Des événements économiques et commerciaux seront coorganisés par les CCE, l’ambassade, les services économiques régionaux et la Team France Export, afin de concrétiser cette dynamique et de faire de la CARICOM une nouvelle destination stratégique pour l’internationalisation des entreprises françaises.

Depuis la découverte d’importants gisements au large de ses côtes, notamment depuis 2015 par le géant américain ExxonMobil, le Guyana doit gérer différemment son économie. Comment ont évolué les relations frontalières avec le Suriname, le Brésil et le Venezuela ?

Christophe Sureau : On lit beaucoup de choses sur le Guyana dans les médias — certaines exactes, d’autres largement erronées. En réalité, seuls quelques Français vivent et travaillent dans ce pays. Malheureusement, de nombreuses contre-vérités circulent, souvent relayées par des personnes qui se revendiquent « expertes » du Guyana sans y vivre, ni y exercer la moindre activité.

Nous, conseillers du Commerce extérieur, entrepreneurs et investisseurs présents au Guyana depuis plus de trente ans, vivons au quotidien les profondes mutations économiques et surtout sociales que connaît ce pays depuis la découverte du pétrole.

Cette manne pétrolière a bien entendu permis d’accélérer considérablement le développement des infrastructures : nouvelles routes, ponts, hôpitaux, écoles… et a permis à une partie de la population de s’enrichir rapidement.

Avec environ 800 000 habitants et un PIB par habitant bientôt comparable à celui du Qatar, le potentiel de développement du Guyana est tout simplement exceptionnel — et unique à l’échelle mondiale aujourd’hui. Mais cette croissance rapide comporte aussi de réels dangers. Les plus riches deviendront multimillionnaires, certains même milliardaires. La classe moyenne s’élèvera au rang de nouveaux riches. Et les plus modestes ? Ils risquent de devenir une population dépendante, prise dans un système d’assistanat croissant.

Je pense particulièrement aux communautés amérindiennes, qui représentent environ 10 % de la population. Ces groupes, souvent marginalisés, sont aujourd’hui devenus des électeurs courtisés par les gouvernements. Depuis quelques années, les revenus pétroliers permettent la distribution de subventions, de dons, de « chèques », qui visent à acheter une forme de paix sociale.

Cela peut sembler positif, vu de loin. Mais sur le terrain, la réalité est toute autre. Ces aides déstructurent profondément des communautés qui, jusque-là, vivaient en autonomie, au rythme de la nature et du travail. Une somme d’argent soudaine n’est pas investie dans l’avenir ; elle est consommée, parfois en une journée. Résultat : une dépendance croissante, une désaffection pour le travail, un déséquilibre social en formation.

Mon activité, liée à la récolte de cœurs de palmier sauvage bio, en souffre directement. Ce sont les populations amérindiennes qui participent à cette filière durable, et aujourd’hui, beaucoup préfèrent attendre l’aide plutôt que de continuer à travailler.

C’est un modèle économique et social entier qui est en train de se transformer — et de se fragiliser. Je regrette profondément le Guyana d’avant 2015, plus authentique, plus équilibré, et basé sur l’effort et la solidarité.

Concernant le Venezuela, ma principale usine de cœurs de palmier se situe à quelques kilomètres de la frontière, dans la zone revendiquée par Caracas. Mais il est important de préciser que cette revendication territoriale ne vient pas du peuple vénézuélien dans son ensemble, mais uniquement de son président, Nicolás Maduro.

Sur le terrain, il ne se passe absolument rien. La frontière est calme. Ces menaces sont principalement instrumentalisées à des fins de politique intérieure par le régime du président Maduro, sans conséquences concrètes sur la vie quotidienne dans la région.

Concernant la situation diplomatique entre la France et le Guyana, peux-tu nous en dire davantage sur les dernières actualités ?

Christophe Sureau : Comme mentionné précédemment, la France ouvrira officiellement son ambassade au Guyana d’ici la fin de l’année. Le nouvel ambassadeur prendra ses fonctions après les élections présidentielles du Guyana, prévues le 1er septembre 2025.

La France deviendra ainsi le premier pays de l’Union européenne à disposer d’une représentation diplomatique permanente à Georgetown. C’est une immense fierté pour nous, Français installés dans la région, qui attendions cet engagement depuis plus de 15 ans.

Cette nouvelle présence diplomatique marquera un tournant dans les relations franco-guyaniennes. Elle permettra de mieux faire connaître la France aux Guyaniens, qui, malgré notre proximité géographique, via notre Département et Région d’Outre-Mer, la Guyane française, connaissent encore peu notre culture, nos entreprises et nos savoir-faire.

Mais au-delà du symbole, l’ouverture de cette ambassade est aussi une opportunité stratégique majeure pour nos entreprises françaises. Elle renforcera nos chances de remporter des appels d’offres publics et privés, qui sont aujourd’hui souvent attribués à des acteurs chinois, indiens, britanniques ou surtout américains, dans le cadre de relations bilatérales où les contrats sont fréquemment liés à des aides ou des dons d’État.

Par ailleurs, le Guyana est le siège de la CARICOM, organisation régionale majeure des Caraïbes anglophones. Une présence diplomatique active à Georgetown permettra à la France de développer son influence dans cette zone stratégique, d’y mener des actions de lobbying et de rayonner sur l’ensemble des pays membres du Commonwealth caribéen.

J’ai eu l’opportunité de suivre de nombreuses conférences inspirantes lors du Forum des Amériques, à Mexico City au mois de mars, en présence de Florent Houssais, président des CCE Amérique latine et Caraïbes que tu connais très bien. J’étais ravie de te voir animer un atelier sur le Guyana durant cet événement, que souhaites-tu ajouter ?

Christophe Sureau : Florent est un véritable frère de longue date. Nous faisions partie de la même promotion lors de notre cursus en management international à l’ISG.

Dès cette époque, nous partagions une passion commune pour l’Amérique latine, fascinés par la diversité géographique, culturelle et musicale de la région, par ses riches influences culinaires, mais aussi et surtout par les opportunités économiques que nous pressentions déjà très tôt.

Après nos études, la vie professionnelle nous a naturellement éloignés : Florent s’est installé au Mexique, et moi au Guyana. Chacun de nous, absorbé par ses projets, s’est plongé pleinement dans son environnement local.

C’est grâce à la grande famille des conseillers du Commerce extérieur que nos chemins se sont recroisés, il y a une dizaine d’années. Depuis, c’est un plaisir renouvelé de collaborer avec Florent. En tant que Vice-Président de la Commission Amérique latine & Caraïbes, je suis fier de mener cette belle mission à ses côtés.

As-tu quelques conseils pour les jeunes dirigeants qui souhaitent se lancer en Amérique latine et aux Caraïbes…

Christophe Sureau : Il faut venir ! N’attendez pas que les chiffres de croissance du Guyana s’affichent dans les revues économiques ou les rapports institutionnels pour vous y intéresser. Et ne vous laissez pas décourager par les discours alarmistes qui évoquent la corruption ou les tensions frontalières avec le Venezuela : le Guyana est aujourd’hui un pays d’opportunités, où tout est à faire, tout est à construire.

Mais attention : le Guyana ne vous attend pas. Trop souvent, je vois des représentants de grandes entreprises françaises, parfois cotées au CAC 40, débarquer ici en pensant que leur réputation ou leur statut suffira. Or, cela ne fonctionne pas ainsi.

Les décideurs guyaniens, qu’ils soient politiques ou économiques, sont souvent formés dans les meilleures universités et instituts du Royaume-Uni ou des États-Unis. Ce sont des professionnels exigeants et de fins négociateurs, qui n’apprécient pas qu’on les prenne de haut ou qu’on sous-estime leur expertise.

Il vous faudra du temps, parfois des années, avant de signer un premier contrat. C’est un investissement à long terme, qui demande humilité, persévérance et respect. Mais il peut rapporter gros si vous êtes capable de faire preuve de résilience, une qualité indispensable dans toute la région caribéenne anglophone.

Et à vrai dire, les jeunes entrepreneurs auront plus de chances de réussir ici que les grandes structures. Leur agilité, leur capacité à s’adapter, à créer des liens humains sincères, sont de précieux atouts sur ce marché en pleine transformation.

Alors si vous êtes jeune, audacieux, entrepreneur : venez au Guyana. Je vous y attends !